(Par Pierro Ferruci)
Nous vous présentons ici, avec l’aimable autorisation de son auteur, le texte d’une conférence de Piero Ferruci, tenue à Florence (Italie) au théâtre « Cestello » en 1985.
Elle a été publiée avec d’autres conférences en 1994 dans le livre en italien : «INTRODUZIONE ALLA PSICOSINTESI», idee e strumenti per la crescita personale, Edizioni Mediterranée, Roma, 1994.
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Commençons par deux histoires. La première est d’Edgar Allan Poe. L’auteur imagine qu’il se trouve dans une rue de Londres au moment où les personnes finissent de travailler et il y a beaucoup de monde. Il commence à observer attentivement les personnes, à regarder leurs visages, leurs vêtements, leurs mouvements.
Il y a des hommes d’affaires, des ouvriers, des artisans, des joueurs, des mendiants, des usuriers, des femmes, des jeunes, des vieux .A un certain moment une personne très étrange passe : Il y a dans son regard mille émotions contradictoires : La joie et en même temps la peur, un sentiment de triomphe mais aussi de terreur, de la crainte mais aussi de la confiance. Le protagoniste n’avait jamais vu réunies dans la même personne tant d’émotions opposées, et il décide de le suivre. C’est un homme assez vieux qui au début marche d’une façon rapide et trop souple, pour une personne de cet âge. Il marche très vite, comme s’il avait un but précis à atteindre. Puis, à un certain moment, il change d’allure et il commence à aller plus lentement, comme s’il vacillait presque. Il hésite, comme s’il ne savait pas quoi faire et où aller. Alors que le protagoniste continue, toujours plus intrigué, à regarder et à suivre cette étrange personne, tout d’un coup, l’homme se remet à marcher rapidement, comme s’il avait à nouveau un but à réaliser, mais, arrivé sur une place, il fait deux ou trois tours d’une allure à nouveau incertaine et désorientée. La nuit tombe, l’atmosphère devient toujours plus sombre et il continue ainsi, toujours en changeant de style et d’allure, jusqu’à ce que l’aube se lève. L’observateur, bien que fatigué, continue à suivre cet étrange vieux/jeune toute cette nouvelle journée, mais celui-ci avance comme s’il ne le voyait pas. Le protagoniste se rend compte alors que cet homme plein de contradictions, visages et styles différents, est l’homme de la foule : l’homme qui renferme en soi la multitude de tous les êtres. Il ne sait pas non plus qui il est et où il est en train d’aller. Il est « un homme qui ne se laisse pas lire ». Cet homme de la foule est le symbole de celui qui a perdu sa propre identité, et donc sa volonté.
La deuxième histoire est de Beckett, l’auteur d’une fameuse pièce de théâtre, « En attendant Godot »où deux individus, Vladimir et Estragon, ne cessent de parler en attendant l’arrivée d’un personnage, pas bien défini, du nom de Godot. En anglais God signifie Dieu, Godot semble y être associé, donc ils sont en train d’attendre quelqu’un de très important, toutefois, on ne sait pas bien qui il est.
Ils parlent, ils font des projets, mais ils ne bougent jamais, il ne se passe jamais rien. A la fin, l’un des deux dit : « Bon, alors on y va ? ». L’autre répond : « Oui, allons-y ! ». Le rideau tombe et tous les deux restent immobiles. Le point culminant de toute l’œuvre est ici dans leur immobilité. Ils sont désorientés, ils ne savent pas où aller. Ils représentent l’être humain qui s’est perdu lui-même, incapable de faire des choix : l’homme sans volonté.
Assagioli soutenait que quand il n’y a pas de volonté, c’est-à-dire quand une personne n’est pas capable ou qu’elle a peur de choisir, il y a souffrance, dépression, anxiété. Rollo May soutient que nous sommes qui nous choisissons et comment nous choisissons, et donc, si nous abdiquons notre capacité de décider, nous ouvrons la porte à la névrose.
Peut être la capacité de choisir est-elle ce qui peut le mieux définir un être humain : d’où l’importance fondamentale et pratique aussi de redécouvrir et de cultiver notre volonté, fonction psychologique à l’origine du choix.
La volonté n’a pas bonne presse en psychologie. Déjà Freud, en soutenant que nous sommes déterminés par l’inconscient, avait montré toute la superficialité de la « volonté victorienne » : cette volonté qui cherche de façon maladroite à faire la loi, en réprimant les pulsions instinctives, en condamnant et en réprimant les côtés les plus naturels de notre être, en multipliant tensions et efforts inutiles. Selon Freud, il n’existe pas de volonté libre : pour la psychanalyse, nous sommes vécus par l’inconscient, nous sommes déterminés par des facteurs qu’à notre tour, nous ne pouvons pas contrôler.
Le point de vue de la psychosynthèse, et plus généralement de la psychologie humaniste, est très différent. Non seulement la découverte de la volonté est essentielle pour la santé psychique, mais si nous ignorons la volonté nous avons tendance à réprimer notre propre pouvoir, nos facultés les plus importantes.
Une recherche a été conduite sur différents patients qui avaient fait une expérience de psychothérapie avec différentes écoles : Jungienne, Freudienne, Adlérienne, Rogerienne, etc. et on a leur demandé quels étaient les facteurs qui les avaient aidé le plus.
Le premier facteur était leur relation avec le psychothérapeute. Ceci est une donnée connue et on la retrouve toujours dans plusieurs recherches et indépendamment du type d’école. Au contraire, souvent, ces personnes ignoraient complètement ou presque l’organisation conceptuelle adoptée par leur thérapeute. Il est donné pour certain que la relation humaine avec le psychothérapeute est le facteur numéro un de la guérison. Ce qui nous intéresse ici, c’est le facteur numéro deux.
Le second facteur pour les patients, c’était de se rendre compte dans quelle mesure ils étaient responsables de leur propre vie. « Si je me sentais mal, d’une façon ou d’une autre, c’était parce que je le choisissais. C’était moi qui créais ma vie, mon être ».
Ce qui avait guéri et aidé à grandir ces individus, c’était la prise de conscience qu’ils avaient engendré et façonné eux-mêmes leur situation. Combien de fois entend-t-on des personnes se plaindre d’être victimes d’injustices, de maladies, de diverses mésaventures, de solitude, de violences, et de mille autres circonstances. Au moment où on se sent victimes, on est complètement impuissants : le mal nous attaque, il n’y a rien à faire sauf subir et se plaindre. Mais au moment où on s’aperçoit que la situation dont on se sent victime a été générée par nous, c’est alors qu’on se sent libres parce que nous avons à notre disposition la capacité de choisir, de changer nos attitude : notre volonté.
Et comment cela arrive-t-il ? Cela arrive quand on se rend compte que les injustices se produisent parce que nous ne faisons rien pour les éviter, nous tombons malades parce qu’on ne s’occupe pas de notre santé, nous sommes seuls parce que nous avons peur du contact avec les autres, les mésaventures nous poursuivent parce que nous voyons seulement ce qui est négatif, les violences nous oppriment parce que nous les attendons ; et ainsi de suite. Et alors on apprend : les événements défavorables, sont, en grande partie, causés et fomentés par nos attitudes, les forces contraires qui nous oppriment sont ces mêmes forces, que maintenant, nous pouvons récupérer. Nous sommes responsables de notre vie.
Rollo May affirme: je veut dire Je peux. « Je suis ce que je peux » dans le sens que c’est proprement dans l’acte de volonté qu’une personne peut découvrir ce qu’elle est.
Je découvre moi-même au moment où je veux quelques chose ( Je veux, pas dans le sens de désirer, mais de décider).
D’autres recherches, cette fois-ci sur des animaux, ont permis d’établir que les souris, les pigeons etc. s’ils pouvaient choisir, pour obtenir de la nourriture, entre faire un travail déterminé (par exemple trouver le juste chemin dans un labyrinthe, pousser un levier ou toute autre chose) ou recevoir de la nourriture sans rien faire, préféraient inévitablement la nourriture conditionnée à une tache. Pourquoi cela ? L’hypothèse est que pour les animaux en général, et probablement pour les êtres humains, cela va dans le sens d’une plus grande vitalité, d’une « compétence », c’est-à-dire la capacité de contrôler l’environnement où ils se trouvent. Qu’il s’agisse d’un animal de laboratoire ou d’une personne, faire un acte de volonté, décider quelque chose, se rendre compte qu’on peut modifier l’environnement extérieur, est considéré comme un besoin, au même titre que d’autres besoins fondamentaux, comme ceux de la nourriture, du sommeil, du sexe etc.
Ces mêmes chercheurs ont travaillé aussi avec des personnes déprimées, hospitalisées. Une personne déprimée c’est une personne mal adaptée à un travail sur la volonté ; la stimuler à entreprendre de nouvelles choses peut l’amener à les refuser et à être encore plus déprimée. Malgré cela, dans ce travail de recherche, on avait commencer à donner à ces personnes déprimées quelque acte de volonté ou des tâches très simples à réaliser : par exemple, se lever et lire à haute voix le passage d’un livre. Puis, le jour suivant, lire le même passage en y mettant plus d’expression, d’intonation. Le jour suivant, choisir entre deux textes différents et, après en avoir choisi un, le lire, aussi cette fois avec une certaine intonation. Par la suite, lire encore à nouveau le morceau et faire quelque commentaire. Il y avait une hiérarchie des tâches qui commençait par des actes très faciles, pour arriver après à d’autres plus complexes. Le plus difficile avec des conséquences positives sur les patients avait consisté à choisir, entre trois sujets différents, celui sur lequel improviser un discours. Ceux qui ont l’expérience avec des personnes déprimées peuvent comprendre combien il est exceptionnel de demander à un déprimé d’improviser un discours et d’obtenir une réponse positive. A plus forte raison pour tout le monde, pas seulement pour celui qui est déprimé, prendre des décisions, faire des actes de volonté peut être dynamisant, peut donner de la joie.
Dans le domaine de travail de la psychosynthèse, il y a plusieurs techniques et exercices qui sont utilisés en groupe, mais que chacun peut faire tout seul, pour travailler sur la volonté.
Quels en sont les bénéfices ? Avant tout, la personne sent que son «voltage » psychique et spirituel augmente. Elle découvre ou elle commence à découvrir sa propre identité et celle-ci peut être une arme efficace pour transcender ou vaincre beaucoup d’émotions négatives, comme l’anxiété, la peur, la rage, la dépression, le sentiment d’impuissance etc.
Il faut toutefois ajouter que la volonté ne peut pas agir directement sur les émotions, non plus qu’on ne peut agir directement sur l’intuition. On ne peut pas avoir une émotion ou une idée brillante sur commande, quand on le veut.
Pourtant, nous pouvons utiliser la volonté indirectement : par exemple, quand on est déprimé, avec un acte de volonté, nous pouvons déplacer l’accentuation : faire de la gymnastique ou lire un livre, mettre enfin l’accent sur des activités physiques ou mentales plutôt que sur la dépression, à qui l’on enlève de l’énergie.
Il ne faut pas croire que ceci est une recette de grand mère : vas te promener et cela passera. Au contraire, c’est une fonction fondamentale de notre psyché : la capacité de déplacer à notre gré l’attention plutôt que de la laisser à la merci du hasard ou de nos obsessions. Donner de l’attention signifie nourrir et cultiver. Enlever de l’attention veut dire laisser mourir. Si nous suivons ce simple principe, nous découvrons la capacité de recréer tout notre monde intérieur. Peu à peu, nous pouvons apprendre à utiliser notre volonté pour mettre l’accent sur des valeurs, des attitudes, des comportements, qui, une fois augmentés de puissance, prennent un relief majeur par rapport à la dépression (ou à l’anxiété ou à d’autres émotions négatives) dans l’économie générale de notre psyché.
La volonté est, en effet, la faculté la plus proche de notre « je ». Si nous faisons un acte de volonté, nous accentuons notre « je », notre « centre », et nous diminuons l’intensité des émotions négatives, parfois même jusqu’à les oublier, surtout si nous sommes impliqués dans l’action entreprise.
Soyons d’accord : nos malheurs ne peuvent pas disparaître simplement parce que nous les ignorons. Au contraire, ils doivent être vus et compris. Mais cette opération, très souvent, ne nous libère pas de nos problèmes, elle ne fait que les soulager. C’est à ce moment que nous pouvons décider d’interrompre ce flux d’attention anxieuse, qui, inévitablement, les nourrit et les amplifie.
Il y a une différence essentielle entre ce type de volonté et celle que nous avons définie comme « victorienne ». La volonté sentiment anxieux du devoir, comme condamnation, comme refoulement d’une partie de nous-mêmes, comme refus de ce que nous sommes, c’est toujours un type de volonté qui va au détriment de quelque chose d’autre et donc qui réprime. Au contraire, la volonté qui naît du centre de notre être n’est au détriment de rien : elle n’impose pas, mais elle coordonne ; elle ne pousse pas, ne force pas, ni ne condamne, ni ne réprime, simplement elle dirige.
Il y a plusieurs manières de cultiver la volonté. Un premier exemple c’est d’oser, risquer faire, c’est à dire, quelque chose dont nous avons un peu peur. Risquer en exprimant sa propre opinion, risquer dans une relation, dans un rapport. Commencer un rapport nouveau, ou, certaines fois, rompre un vieux, quand c’est nécessaire de le faire. Risquer d’être seul, ne serait-ce qu’un seul jour, d’être soi-même, de se manifester, de se montrer pour ce que nous sommes. Risquer de changer d’idée, ou de s’exprimer, ou de faire quelque chose que nous n’avons jamais fait. Çà peut nous coûter cher, mais risquer peut vraiment transformer une situation. Risquer signifie en effet sortir des schémas et des habitudes qui nous limitent, et mobiliser de nouvelles ressources.
Un autre manière de cultiver et de renforcer notre volonté : c’est la concentration.
Il y a plusieurs techniques pour se concentrer. Une parmi les plus simples, est celle de l’observation. On peut prendre une image composite, d’un magazine, ou une reproduction artistique, ou l’on peut s’arrêter devant une vitrine où sont exposées des objets différents. Après avoir observé quelques instants tout cela, on ferme les yeux et on cherche à se rappeler le plus grand nombre possible des détails de cette image, ou des objets. Au début, les résultats ne sont pas très bons, en général on ne se rappelle que la moitié de ce qu’on a observé, mais bientôt on voit comment cette faculté peut être cultivé et cela nous fait nous sentir plus compétents et plus présents.
Parfois, nous lisons un livre et il nous vient à l’esprit de faire quelque chose d’autre, par exemple d’aller nous promener. Au lieu d’aller nous promener, attendons un moment, lisons ce livre encore pour cinq minutes sans nous distraire. C’est une manière simple mais efficace pour augmenter notre capacité de nous concentrer. Pourtant, pour développer cette faculté, il y a beaucoup d’autres exercices spécifiques.
Une autre manière de développer la volonté est celle de trouver les priorités de notre vie. Un psychologue américain, Lakein, demande aux personnes : Qu’est-ce que vous faites de votre temps ?Etes-vous contents de la façon dont vous l’utilisez ? Est-ce que vous l’utilisez au mieux ? Beaucoup d’entre nous, devant la question : « Quels sont les priorités dans ta vie ? » ont beaucoup de mal à répondre. Beaucoup de personnes, peut être, vont donner des réponses différentes à des moments différents.
Il y a un exercice que chacun peut faire aussi tout seul : on prend du papier, un stylo et on se pose la question : « Qu’est-ce que je veux faire de ma vie ? ».On fait une liste rapide, sans trop réfléchir, en écrivant aussi des choses extravagantes. Ce n’est pas un engagement à faire quelque chose, c’est seulement une espèce d’inventaire. On écrit tout : je voudrais faire un voyage, je voudrais me marier, je voudrais apprendre l’allemand, apprendre à danser, faire du yoga n’importe quoi !
Puis, on met de côté cette liste et on se pose une autre question : Qu’est-ce que j’aimerais faire dans les cinq ans à venir ? C’est une question plus circonscrite. On répond de la même manière en faisant une liste aussi pour cela. Les réponses peuvent être les mêmes qu’avant ,mais il est possible qu’il y en ait aussi de différentes. Après, on se pose une troisième question : Si j’avais seulement six mois de vie, qu’est-ce que je ferais ? A ce point beaucoup de personnes découvrent que, si elles avaient seulement six mois de vie, elles feraient des choses complètement différentes de celles qu’elles sont en train de faire. Et cela nous fait réfléchir, parce que çà peut signifier que ce qu’elles sont en train de faire maintenant dans leur vie, ce n’est pas la chose la plus importante. Quand on a terminé ces trois listes, on choisit deux ou trois réponses auxquelles nous aimerions accorder plus d’attention et de valeur : elles sont nos priorités, ce qui a le pouvoir de donner un sens et une dynamique à notre vie. Si nous accordons plus d’attention et plus d’énergie à nos priorités, et moins aux détails trop peu significatifs, nous nous sentons plus satisfaits. On peut varier la liste à chaque moment. L’important consiste à faire, chaque jour, quelque chose qui concerne la première, la deuxième ou la troisième priorité que nous avons listée. Ne pas laisser passer un jour sans faire cela. C’est alors que nous avons la sensation vraiment de ne pas se perdre dans des choses qui ne sont pas essentielles, de fonctionner.
« Mais pourquoi faire çà ? » pouvons-nous nous demander. Pourquoi n’est-on pas naturellement disposé à faire des choses que l’on considère comme importantes ?
Les choses les plus importantes sont celles qui requièrent le plus d’énergie, plus d’engagement, quelque risques, ou qu’elles sont nouvelles. Très souvent, par contre, c’est plus simple de se laisser aller à tout ce qui est évident et plus facile : regarder la télé, lire le journal, faire une promenade et renvoyer, plutôt que de faire tout de suite la chose la plus importante de notre vie.
Un autre moyen de cultiver et de découvrir notre volonté, c’est dans le domaine des relations avec les autres.
Beaucoup de personnes sentent qu’elles n’ont pas la force de s’affirmer dans la vie et par peur des réactions d’autrui, ne se font pas valoir, sont manipulées par les autres. Naturellement, dans ce cas, le travail sur la volonté consiste à ne pas se laisser manipuler mais à s’affirmer.
Mais comment fait-on pour s’affirmer ? Comme pour tout le travail sur la volonté, c’est quelque chose dont nous pouvons faire l’apprentissage : nous devons apprendre en faisant.
Les possibilités sont nombreuses. Nous pouvons apprendre à :
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Ne pas se laisser dominer par les caprices et les opinions des autres ;
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Exprimer notre avis même si c’est difficile à faire ;
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Demander ce que nous voulons plutôt qu’ignorer systématiquement nos exigences ;
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Faire ce qui nous paraît juste malgré la désapprobation des autres ;
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Ne pas laisser notre temps et nos ressources colonisées par ceux qui profitent de nous ;
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Savoir dire non.
Cela est possible si nous voyons la vie comme un laboratoire, et alors chaque situation devient un champ d’action et de travail. Certaines personnes, quand même, ne doivent pas du tout apprendre à s’affirmer, parce qu’elles s’affirment déjà au point qu’elles attaquent l’autre.
Mais aussi ces personnes peuvent travailler avec la volonté, elles peuvent apprendre à céder, à admettre de s’être trompées, à changer d’idée. Pour certains changer d’idée c’est un risque énorme, ils s’aperçoivent qu’il y va de leur responsabilité : au contraire, il peut en résulter quelque chose de très intéressant et si le choix est conscient, c’est sûrement un acte de volonté.
Un moyen peut être d’utiliser la volonté, c’est de faire ce qui doit être fait, et de le faire tout de suite, sans renvoyer à plus tard. On peut s’engager de différentes manières : mettre en ordre son bureau, écrire une lettre, faire tous les jours un exercice de psychosynthèse, expédier tout de suite et sans plaintes, les affaires bureaucratiques habituelles, répondre sans hésitation aux exigences de la vie. Quand nous faisons quelque chose de neutre (ou aussi peut être d’un peu ennuyeux) avec précisions, engagement, présence, voilà que nous utilisons la volonté et que nous transformons la vie quotidienne. Nous ne devons pas penser que les exercices de volonté soient seulement faire ; au contraire, la volonté peut être aussi le non faire : par exemple ne pas regarder la télé pour une semaine, simplifier ses horaires, supprimer des engagements excessifs, interrompre n’importe quelle habitude. Souvent notre vie est envahie par ce qui n’est pas essentiel et qui est superflu, pourtant éliminer c’est difficile. La volonté, c’est aussi utiliser les ciseaux.
La volonté peut être utilisée pour « tailler », c’est à dire, pour décider de faire moins de choses. Un arbre auquel ont a coupé certaines branches, se développe avec celles qui restent. Goethe disait que c’est dans l’art de se mettre des limites qu’on reconnaît le vrai maître.
L’acte de volonté n’est pas simplement une pensée. A celui-ci correspond une activité cérébrale spécifique. Dans une expérimentation où l’on avait connecté l’activité électrique du cerveau humain aux commandes d’un téléviseur, l’électricité cérébrale était amplifiée d’une telle manière qu’elle faisait déclencher l’interrupteur qui allumait la télé. A la personne connectée à cet outillage, on demandait d’appuyer le bouton pour allumer manuellement le téléviseur. La première fois, il arrivait que la pression exercée sur le bouton l’allumait. La deuxième fois, le téléviseur s’allumait, non à cause de la pression du bouton, mais un instant avant qu’il ait été touché. L’acte de volonté d’allumer le téléviseur évoquait des potentiels électriques, qui, opportunément amplifiés, arrivaient à déclencher le dispositif qui provoquait l’allumage. Donc, avec un acte de volonté, nous n’augmentons pas seulement notre potentiel psychique, mais aussi notre potentiel bioélectrique.
Nous pouvons comprendre la volonté même dune autre perspective.
Un biologiste anglais, Sheldrake, soutient que les lois de l’univers ne sont pas immuables, mais elles sont des habitudes enracinées qu’on peut changer. Quand, par exemple, dans un laboratoire, on synthétise pour la première fois une substance organique c’est très difficile de le faire, mais la deuxième fois, c’est plus facile, même si c’est quelqu’un d’autre qui le fait et qui ne connaît pas la procédure déjà réalisée. Sheldrake dit qu’on crée un précédent : un « champ morphogénétique », c’est-à-dire un schéma invisible, mais existant, qui détermine toutes les synthèses successives de cette substance.
En Angleterre, il y a plusieurs années, le lait était remis en bouteilles avec un bouchon d’étain et on les déposait sur les seuils des habitations. Un beau jour, un oiseau avait appris à percer le bouchon d’étain et à boire un peu de lait. Tout à coup, en peu de jours, dans une en grande partie de l’Angleterre, un très grand nombre d’oiseaux se lancèrent pour faire la même chose, au point que l’organisme responsable fut obligé de modifier le conditionnement du lait distribué au public.
Si, dans un laboratoire, on donne une tâche déterminée à une souris, à Londres, par exemple, et qu’on refait , dans un laboratoire des antipodes, avec des souris différentes, la même expérience, Sheldrake soutient que ces oiseaux et ces souris provoquent un « champ morphogénétique », c’est à dire un champ qui crée une nouvelle forme, une nouvelle possibilité. Cette possibilité, si elle est répétée, devient peu à peu une loi, devient une réalité.
Les théories de Sheldrake ont été critiquées mais bien d’autres pensent qu’elles contiennent au contraire des idées intéressantes.
Dans la psyché humaine, arrive un peu la même chose parce qu’une pensée qui est répétée une, cent, mille fois, génère une réalité psychique que nous pouvons considérer comme immuable, qui nous fait dire : « Je suis fait comme çà ». Au contraire, nous pouvons décider (voilà la volonté) de créer une autre réalité psychique, en changeant nos pensées, la direction de notre imagination. En sanscrit, ces formations psychiques sont nommées Samskara. Un Samskara est simplement une pensée qui a été pensée mille fois, et qui s’est pour ainsi dire déposée dans la profondeur de la psyché. Peu à peu, la pensée se solidifie et elle devient une partie de notre personnalité. Et alors nous pensons être comme çà. Toutefois, au moment où on se rend compte que, chaque fois que nous pensons de cette manière, nous renforçons cette pensée, et que nous décidons de penser de façon différente, voilà que nous pouvons peu à peu obtenir beaucoup de résultats positifs. Il existe des techniques spécifiques pour apprendre à diriger nos pensées et créer de nouveaux Samskara : nous pouvons transformer notre personnalité, lui donner une forme différente, devenir vraiment les artisans de notre être, en déposant une pensée, une attitude, un jour après l’autre, et en se recréant. Vu que tout çà, on le fait déjà, autant apprendre à le faire bien et consciemment.
Une autre caractéristique de la volonté, enfin, est la neutralité. Une personne peut la cultiver et apprendre à avoir une incidence majeure sur la réalité et avec plus d’efficacité. Mais ce pouvoir n’est pas nécessairement bénéfique : en effet, il peut être dirigé vers des buts néfastes et contraires aux intérêts des autres. D’où la nécessité urgente pour le monde d’aujourd’hui, de créer et de développer une volonté éthique, bonne, qui soit du côté des personnes et agisse au bénéfice du tous : orienter une telle volonté vers des buts nobles et importants.
La volonté du bien , c’est l’une des manifestations les plus hautes de l’esprit humain : en elle se produit une synthèse de l’élément volitif avec les sentiments supérieurs du supraconscient ; Celui qui active sa propre volonté du bien se sent uni et cohérent.
Celle-ci est une action bénéfique dans laquelle nous investissons, d’une manière délibérée et systématique, tout notre être.
Dans ce moment là, dans un certain sens, nous nous dépassons nous-mêmes et nous faisons l’expérience d’être partie d’un tout plus grand que nous.
Traduit de l’italien par Franco Salvini.