Une expérience d’application de la psychosynthèse en pédagogie

par Geneviève COLDEFY

Cette expérience s’est déroulée dans une classe de cours préparatoire d’enfants de 6 ans autour d’un spectacle  » comédie-ballet  » dans lequel ces enfants devaient intervenir comme acteurs avec des danseurs professionnels. Ils y ont été longuement préparés par divers exercices qui se sont étalés sur six mois de l’année scolaire.
Le thème du spectacle, d’après le conte de Madeleine CHAPSAL  » PROMENADE AU CŒUR DES CHOSES « , est l’histoire d’un enfant qui, délaissé par ses parents préoccupés par la naissance d’une petite sœur, fait l’expérience imaginaire de la descente dans la terre. Là, il DECOUVRE un monde merveilleux qui n’est autre que SON PROPRE MONDE INTERIEUR, animé par ses SENSATIONS, et dans lequel il puise une force, sa PROPRE FORCE qui lui permet d’appréhender sa VIE avec ses difficultés (la naissance) et de grandir.

Ce conte m’a intéressée parce qu’il m’a paru être dans l’ESPRIT DE LA PSYCHOSYNTHESE.
La descente dans la terre peut être vécue comme la DESCENTE EN SOI-MEME, dans son corps, comme la prise de conscience de son intériorité, de ses perceptions corporelles et en même temps de sa VIE, de son ENERGIE. Ce retour en soi-même dispose, conduit naturellement à une attitude d’accueil, d’ouverture aux sensations extérieures. Et cette RECEPTIVITE, cette écoute elle-même intériorisée, par l’affinement des perceptions qu’elle développe, OUVRE LA PORTE DE L’IMAGINATION, de l’INTUITION, de la RICHESSE INTERIEURE.

Il y a là trois démarches de la psychosynthèse :
– détente, écoute du corps, de son intériorité,
– accueil des sensations,
– intériorisation de ces sensations qui mène à la découverte de son imaginaire et de son intuition.

La conséquence de cette démarche est la prise de conscience essentielle pour la personne, de sa richesse, de son énergie vitale, de son individualité et de a possibilité de croissance personnelle.Dans cette optique, les enfants étant acteurs (animaux ou fleurs que le héros du conte rencontrait après sa descente vers le monde merveilleux qu’il découvrait), mon désir a été d’amener chacun :
– d’abord à se détendre, à faire SILENCE en lui-même pour être à l’écoute de son intériorité, réceptif à ses perceptions internes et aux sensations extérieures.
– ensuite à LAISSER EMERGER, par l’intériorisation, du plus profond de son être, UNE IMAGE, animal ou fleur QUI LUI SONT PROPRE afin que s’établisse un DIALOGUE AUTHENTIQUE ENTRE CE SYMBOLE ET LUI-MÊME.

Je reprendrai maintenant chacun de ces points pour dire les constatations que j’ai pu faire dans l’évolution de l’enfant.

La DESCENTE EN SOI, l’expérience de la DÉTENTE, de la prise de CONSCIENCE DE SON CORPS, de ses sensations corporelles ont entraîné un sentiment de SÉCURITE.
L’enfant a perçu son existence propre dans sa peau, son enveloppe corporelle, vécue comme un élément protecteur, assurant son intégrité. Il a pris conscience de son intériorité, de ses perceptions internes qu’il a reconnues et qui ont perdu de ce fait, leur aspect parfois inquiétant.
Il a senti son énergie vitale PAR SA CHALEUR, son rythme cardiaque, respiratoire.
Il a pris CONFIANCE en son CORPS qui en acquérant son individualité, est devenu un RÉFÉRENT, un instrument de connaissance.Le corps s’est différencié du monde extérieur. L’enfant est devenu capable d’accueillir les sensations externes en les reconnaissant comme telles, extérieures à lui.
Il a pris de la distance par rapport à ce monde extérieur, vécu progressivement comme objet de plus en plus distinct du sujet ; il ne fusionne plus avec lui. LA DISTANCIATION, démarche si importante de la psychosynthèse, l’a aidé à se dégager de son esprit animiste et de son égocentrisme primitif, et à progresser dans l’objectivation et le début d’un développement de l’esprit scientifique.

En plus de cet aspect cognitif très important, se sont développée chez l’enfant l’intuition et l’expression artistique. L’accueil aux sensations visuelles, par exemple, associé à la prise de conscience de sa vie personnelle et de la vie qui anime les choses, a entraîné la production de dessins de fleurs – entre autre – non seulement mieux observées mais également animées de cette vie.
La perception de son rythme personnel (cardiaque) a eu pour conséquence une meilleure perception et une reproduction plus juste d’un rythme extérieur imposé, une participation mieux accordée et harmonieuse à une danse collective, ce qui n’est pas évident chez un enfant de six ans.
Enfin dans son rôle d’animal ou de fleur, – rôle qu’on ne lui a pas attribué d’office, mais qu’il n’a pas choisi non plus de manière impulsive et arbitraire – Dans ce personnage qu’il a laissé jaillir du plus profond de lui-même, l’enfant s’est impliqué totalement. Il s’est identifié à son symbole dans un élan créateur qui s’est exprimé par un jeu corporel perçu comme  » recueilli et vécu de l’intérieur  » par les spectateurs.Il s’est établi, entre ce personnage-symbole et l’enfant, un véritable dialogue qui s’est manifesté par des textes écrits, des dessins, des échanges même en dehors de la classe ( des enfants s’écrivant d’animal à animal, ou de fleur à fleur) et une grande cohésion du groupe.

Expression spontanée, vivante, chaleureuse et je crois pouvoir le dire, riche, authentique, enthousiaste avec beaucoup de créativité.Mais ce qui m’a paru le plus important, c’est le cheminement effectué avec chaque enfant avec son PERSONNAGE -SYMBOLE.

Il y a eu, en effet, en un premier temps, projection de l’enfant sur son animal ou sa fleur. Un petit garçon très immature et peu motivé par la vie scolaire s’est identifié à une grenouille bien au chaud, tranquille, protégée au fond de l’eau. Tel autre, doux, craintif, ne pouvant exprimer son agressivité a choisi un serpent parce que  » il se faufile, il est dangereux, il pique avec sa langue « .
Une petite fille très inhibée, ne parlant pas, mais très raffinée, a aimé un perroquet parce qu’il était plein de couleurs  » l’oiseau arc-en-ciel « . Après une maturation en un deuxième temps, l’enfant a grandi, évolué avec son symbole, sans aucune intervention de ma part, simplement comme s’il percevait un message.

La grenouille a sauté hors de l’eau ; curieuse elle est allée explorer le monde avec ses gros yeux. Le serpent, avec sa langue, a parlé et lu dans toutes les langues. Le perroquet n’était plus seulement beau, mais il chantait avec tous les autres oiseaux. Et effectivement, il y a eu évolution du comportement des enfants, la petite fille inhibée devenant bavarde et drôle, le petit garçon immature lisant et écrivant avec sa grenouille…Tout ceci s’est fait, bien sûr, en interaction entre les enfants et l’on ne peut exclure quelque influence de l’un sur l’autre. Mais certaines intuitions, en particulier celle du serpent m’ont paru assez étonnantes : nous n’avions pas lu d’histoires de serpent, en classe et l’enfant, apparemment, ne connaissait pas de contes où figure le serpent sage et savant.

Quoiqu’il en soit, pour chacun, son personnage-symbole a eu un rôle dynamisant et a été un chemin de CONNAISSANCE, de CROISSANCE et d’ÉVOLUTION.

Le dernier point que j’ai évoqué précédemment et qui a été très sensible, c’est la bonne cohésion du groupe dans la classe et en dehors de la classe. Tout un échange de relations s’est instauré à l’extérieur de l’école. A l’intérieur il m’a semblé qu’une plus grande tolérance, une meilleure perception de l’autre se manifestaient, avec moins de mesquinerie, mais toutefois sans éviter certains règlements de comptes …

Cette expérience a créé un lien entre les enfants et a généré, également, une participation spontanée des parents. Ce projet vécu en commun a induit une atmosphère ouverte et chaleureuse, une qualité de communication que je j’avais pas ressentie jusqu’alors dans ma pratique professionnelle.
Les enfants de ce cours préparatoire ont, me semble-t-il, beaucoup appris et ont pu développer leur connaissance d’eux-mêmes, leur sens artistique, leurs possibilités relationnelles. Mais surtout cette expérience m’a révélé l’étonnante richesse du symbole comme chemin d’une croissance de l’être intérieur et d’ouverture du monde.